Site philosophique et politique pour une pensée forte.

mercredi 1 juin 2011

Papillon du Parnasse



Papillon du Parnasse et semblable aux abeilles
À qui le bon Platon compare nos merveilles,    
Je suis chose légère et vole à tout sujet,           
Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet.       

L'abeille et le papillon - La Fontaine


   Voilà une description à la légèreté contagieuse ; on aimerait tous être comme La Fontaine, dans cette errance fleurie qui ressemble à la liberté. On y sent la légitime variété des désirs humains, qui le fait aller en des chemins qu'il ne connaît pas toujours, en des forêts pleines de surprises, cueillant joyeusement la singularité de chaque nouvel objet rencontré. J'aime vraiment ce mot de singularité ; il exprime ce qu'il y a d'irréductiblement beau dans chaque parcelle de Dieu ; et toujours ce mot me procure une ferveur et pour l'existence dans sa totalité, et pour les choses singulières qui me viennent à l'esprit. Malheureux celui qui reste toujours bloqué sur une seule fleur, puisant rapidement toute sa beauté, se lassant, se dégoûtant, prenant en aversion ce qu'il adorait autrefois ; au contraire, les papillons du Parnasse, fiers de leur frivolité, cherchent la beauté partout où elle se trouve, et préfèrent les fleurs riches en puissances variées, dont on sait qu'elles peuvent étonner, qu'elles peuvent prendre des formes insoupçonnées... Regardons la vie ; nous y voyons une multitude de processus, de puissances s'effectuant : cette diversité devrait nous réjouir. L'ennui, ce fléau de l'animal conscient, se développe lorsque l'homme reste figé sur un processus : il se fige à son tour, pose des questions stupides au processus et à l'ensemble de la réalité ; cherchant une finalité, il trouve vanité ; et ce faisant, souvent sans en être conscient, il invente son malheur. 


   La légèreté ne doit pas être qu'une vaine métaphore ; elle doit devenir acte. Qu'entendons par légèreté ? C'est ce que décrit La Fontaine. Non seulement dans ces quelques vers, mais dans toute son œuvre. C'est la célébration continue des petites beautés éparpillées dans l'univers, que nous ne pouvons tous aimer, car nous avons une complexion propre et que le goût nous force à refuser, mais qui sont toujours assez nombreuses pour égayer notre existence jusqu'à sa fin. Ces objets singuliers, toujours nouveaux, que sont-ils ? Tout : ce sont des enfants, des hommes ou des femmes ; ce sont des plantes ; ce sont des jardins ; ce sont des outils, des instruments, des technologies ; ce sont des jeux ; ce sont des peintures, des livres, des mélodies ; ce sont des sensations, des sentiments ; ce sont des nourritures. L'exhaustivité est impossible dans l'hymne des choses singulières à découvrir. Pour apprécier tous ces nouveaux objets, il faut s'engouffrer dans ceux-ci, fouiller leur particularité, trouver le cœur de leur processus, s'avancer, en somme, jusqu'à la compréhension en quelque sorte amoureuse de leur essence. Ceci peut paraître abstrait ; mais lorsque nous y regardons de près, lorsque nous observons ce qui fait notre joie, nous trouvons toujours une activité découverte, une personne approfondie, un fruit goûté et apprécié.


   Eh quoi ? N'apprécies-tu pas cette vie féconde, qui propose tant de singularités à effleurer, tant de fleurs à sentir ? C'est que tu n'as pas encore appris la légèreté. Regarde La Fontaine ; il vole ; il n'est pas effrayé par les nouveaux objets ; il est sans cesse intrigué ; et ses errances, chez ce génie créateur, sont la source de délicates inventions, Fables et Contes, que nous pouvons à notre tour apprécier. Soyons conscients de la réalité productrice et regardons les nuances toujours nouvelles qu'elle invente ; c'est en quoi la nature est proprement divine. Répétons-nous les vers de La Fontaine, et essayons nous aussi de devenir, que ce soit par l'imagination, dont je n'ai pas pu peindre ici les vertus, ou par la participation directe aux choses matérielles, de légers papillons du Parnasse. Le désir est l'essence de l'homme ; le désir fait allégrement s'envoler ; des fleurs aiguiseront toujours notre volonté.

Florent Basch


mardi 1 mars 2011

De l'action dans le discours

  Partout des analyses, des minuties inutiles, des pointilleux remontrants. 

  En philosophie, il n'est guère nouveau que pour débattre d'une idée, il est toujours bon de faire attention aux mots employés et de savoir exactement à quel auteur nous faisons référence. Et il faudrait, en effet, être un imbécile pour ne pas approuver ce minimum de rigueur dans le discours. Mais quant la pratique devient rigoriste, "universitaire", à la limite du coincé, nous assistons à des débats rhétoriques et stériles; à jouer sur un mot, à le retourner, à changer inlassablement ses origine et ses employeurs pour le déconstruire, le dé-comprendre. 
  Le débat et la vérité avancent t-ils? Non. 

  Or, si nous observons le monde politique, il apparaît comme le lieu où les idées fusent peu, prennent d'inutiles détours pour finalement laisser croire que, laisser penser que, laisser faire croire que l'on pense. Débat délaissé. 
  Oh, j'ai déjà assez fait entendre le problème de la censure causée par l'opinion des bons Lucien (Sartre, L'engrenage) et autres Kant manchots qui sont dans notre voisinages et qui ne manqueront pas de nous accuser des maux de leurs parents. Mais cela ne doit pas nous empêcher de débattre, au risque d'un dérapage ou deux, de parler de vive voix plutôt que d'en appeler aux grands TNS Sofres, Ifop, Ipsos qui nous submergent de sondages toujours plus éphémères et virtuels. 
  Un mot, une phrase, un argument contiennent une multiplicité de choses selon les contextes, et en faire la critique revient en n'en critiquer qu'un aspect. Nous le savons, et c'est là la joie et l'intérêt de la confrontation; lorsque l'on sait avec clarté où l'autre veut en venir car l'on a compris l'aspect spécifique et immédiat de son propos, de sa démarche. 
  Mais on continue, pourtant, à nous embrouiller, à avancer puis reculer, à jouer sur les définitions, à chercher la bête, que cela soit pour dormir en paix ou pour inhiber son adversaire. On joue aux idiots savants. On n'ose plus tailler dans le vif, obnubilé par une sorte de principe de précaution du langage. Et s'y par malheur on tente d'en sortir: tollé général!

  Ainsi rien ne se résout, et tout le monde pense. La peur de l'erreur et du faux pas est on ne peux plus présente, car le jugement divin est désormais en chacun. Magie démocratique hors des urnes: au nom de tous on ne fait plus rien, on (se) fait plaisir. Et pour illustrer ces discours qui tournent à vide, il suffit de voir le nombre de débats politiques qui ne se font plus entre politiques, mais entre journalistes. 
  Prenons garde et écoutons Lucrèce : 
"Et quo quaque magis cohibet res intus inane, 
tam magis his rebus penitus temptata labascit."*
E.Esther

*Et plus une chose renferme de vide, 
plus elle se laisse pénétrer et ruiner.

dimanche 20 février 2011

De l'idéologie au réel, pour une poétique du réel.

  Telle une aspirine qui endort la douleur et la fait taire dans un sommeil inextinguible, l’idéologie, discours d’un au-delà, opprime la réalité en lui substituant un autre monde. C’est alors que ce monde des idées est objet d’extase, et teinte la réalité de couleurs érotiques aux effets pervers. On rend cocu le réel en lui préférant sa sœur prostituée qui vend ses charmes pour un rien, pourvu qu’on ne la dévoile pas. L’idéologie communiste a fait l’objet d’un véritable viol en se maintenant concrètement à la tête de l’Union soviétique. 
  La force de l’idéologie est son maintient dans le possible, dans un réel toujours à venir, possible qui selon Bergson n’est que du réel projeté. Le drame du communisme se produit dans sa tentative de réalisation, d’inscription dans le réel. Or elle perdit là toute sa force, toute son ambition, son extravagance. Elle qui était prisme d’une réalité amer se retrouve aux fers contre le réel, luttant contre ce qui ne se défait jamais, contre ce qui jamais ne se tait. Le réel ennui, parle trop, ressasse toujours les mêmes histoires, les mêmes déceptions.
  L’homme a besoin de rêvasser, de s’inventer des mythes, de s’évader, de fuir la rudesse de celle qui n’a désormais plus de nom. On confectionne quelques programmes pour séduire les foules, les aider à imaginer, à entretenir du possible. Cela forme une musique assez sympathique, nous faisant danser au gré des saisons. On s’ennuie dans ce monde, il faut se distraire. Mais certaines s’illusionnent d’agir physiquement sur du concret. Ils crachent des idées, leur salive se mêle de mensonges, de comédie qui aspire au statut de réel, à une réalité du possible. L’abstraction détournée atteint des taux d’activité assez convaincant, c’est l’orientation des concepts qui est douteuse. Démocratie, libéralisme, conservatisme, alter-mondialisme, écologisme, socialismes, nationalismes : le double est légion. Mais le réel c’est l’infini des possibles ou plutôt l’impossible au sens où l’entend Derrida : c’est ce qui arrive. 
  Comment prévoir ce qui arrivera ? C’est torture inutile. Pourquoi prétendre agir sur le réel en le pansant de substances hallucinogènes ? Comment raisonner dans l’errance ? Il ne faut pas parler de progrès car c’est ce qui aliène le ici-maintenant à un toujours ailleurs. Le progrès est une fin qui se nourrit des déceptions du présent ; on nous dit l’humanité est en progrès comme si elle avait une destinée particulière. La nôtre c’est de rire de ce qui nous arrive, de rire de tout et de rien, de danser avec le réel. 


  On ne guérit jamais vraiment de nos maladies et souvent le rôle de la médecine est de nous apprendre à vivre avec nos maux. Grégoire Samsa (La Métamorphose, Kafka) doit s’y reprendre à plusieurs fois, se projeter vers sa position préférée, rien n’y fait, la réalité revient à coup de marteaux. Il est devenu un monstrueux insecte, une étrange créature mais ce devenir est son être-là. Vivre dans le réel c’est vivre avec cette part d’étrangeté en nous et dans l’autre ; si on a l’impétuosité de vouloir éradiquer cette étrangeté, on dévitalise la vie, on la rend insipide, indolore. C’est comme la violence d’une liqueur à la gorge, la rendre sourde, c’est l’oublier. Or il faut affronter cette violence non pour la voir s’évanouir mais pour simplement le plaisir de combattre avec et contre elle. 
  Tout le plaisir de la vie est dans cette danse inconfortable où l’on cherche à ramener l’équilibre ; on se trompe à vouloir rétablir l’ordre alors que c’est seulement dans la recherche de l’équilibre et non dans l’équilibre même qu’on éprouve la joie du réel. C’est, selon moi, le propre d’une poésie du réel.

D.B.


mercredi 16 février 2011

Lève-toi et marche !

La vie est un travail qu'il faut faire debout.
- Alain

    Il faut aimer l'homme regardant l'horizon et se méfier des éternels accroupis. Dressé, cet étrange animal porte noblement ses fardeaux, concentre son énergie, contemple le devenir ; assis, ses peines écrasent ses épaules, il se morfond dans la velléité, demeure fixé sur son marasme. Davantage qu'une métaphore facile mais belle, c'est une vérité physiologique : l'homme debout exerce une tension ferme sur ses membres, ses lignes gracieusement se consolident ; son regard dépasse le sol et s'élève au-delà des importunes hautes herbes : ses yeux semblent défier les dangers de la nature. La bipédie est une position d'affirmation qui pousse à regarder et aller en avant ; c'est la position qui fait marcher, qui enclenche ce processus singulier qui, en se développant, fit sortir l'homme du règne purement animal pour créer les civilisations uniques que l'on sait. On suppose que l'homme s'est mis debout, entre autres raisons, pour affronter au mieux les périls de la savane ; il doit le rester pour franchir les obstacles qu'il a et aura toujours besoin d'inventer.
    Il ne manque pas d'âmes paraplégiques en ce monde pour inciter les hommes à ramper sans honte et à imiter le nonchalant mode de vie de larves en tout genre ; on veut nous faire croire que le bonheur consiste à demeurer confortablement assis, éloigné à jamais de la vie pleine d'efforts et d'oppositions qui fut celle des hommes du passé. Pernicieuse idée d'hommes fainéants et tristes ! Il faut s'insurger contre ces utopies d'insectes et ces pâles idéaux ennuyeux, qui font de l'inaction une vertu, de l'inertie une condition indispensable au bonheur, du combat une tare à éradiquer ; de telles sottises ne devraient pas être semées dans les champs des hommes ; et les âmes refusant de s'agenouiller ou de se coucher, qui existeront tant que l'homme sera l'homme, devraient déployer leur goût naturel pour le travail libre afin de mettre sur pied tous les bipèdes corrompus. Il n'est pas vrai que l'homme aime la facilité et le repos ; il ne demande qu'à effectuer en divers domaines sa puissance ; il l'eût fait de lui-même, s'il eût su naturellement exciter, diriger et contrôler son désir.
  La grande force de l'homme, c'est sa capacité à se discipliner selon des règles collectives ou individuelles, et à fonder son épanouissement dans ces contraintes précieuses qui le poussent à se lever et à marcher droit vers la difficulté ; il peut vaciller quelquefois, être bousculé par mille objets divers souvent, mais il est toujours content de trouver des difficultés qui forment les bases nécessaires de son excellence. Seuls les faibles préfèrent s'allonger et couper les jambes de tous : le ressentiment prend toujours un malsain plaisir à se propager comme le montre ces austères moralisateurs qui condamnent des actions qu'eux-mêmes regrettent de ne pouvoir réaliser. Dès que l'homme se lève allègrement, se met consciemment en mouvement, et avance vers un chemin quelconque qui augmente sa puissance, il est beau, joyeux, et presque sage. La marche est l'expression corporelle de l'amor fati ; et Nietzsche, comme tous les gais penseurs, était un grand péripatéticien. Si je suis humaniste, ce n'est certes pas pour adorer un animal bureaucrate ou pour me prosterner devant de nouveaux sièges respirant le bien-être insipide et autres progrès de l'industrie du confort  ; et s'il eût été en mon pouvoir de réveiller mes frères humains endormis, j'eusse crié, avec toute la ferveur qu'il m'est possible de partager, sans promettre autre chose que le bonheur d'une lutte libre et épanouissante : « Lève-toi et marche, chaque jour ! ».

Florent Basch

De la servitude sensible (ou De la mort véritable)

"Les éponges et les sots ont ceci de commun qu'ils adhèrent." Socrate dans Eupalinos, Paul Valéry
  Je rappelais au lecteur, dans mon article précédent, l'importance qu'il doit accorder aux sources des informations qu'il recueille. Et cela car il n'est pas la peine de chercher plus loin que la caverne de Platon pour comprendre qu'il y a derrière tout media un principe d'illusion. Je ne promets certes pas, le monde des Idées, mais juste un peu de bon sens.
  Ces images, prises seules et considérées comme vérité absolue, ne produisent en l'individu qu'une vision simple (pour ne pas dire simpliste). L'objet (l'information) n'étant alors observée que de notre unique point de vue, sans que tous ses possibles soient considérés, ne fait que déclencher en nous ce que Hegel appellerait l'acte d'opiner. Bienvenue, mes amis, dans la servitude de l'opinion.

  Qu'est ce qu'une opinion, sinon un pensée plate, frottée au point que tous les reliefs de la réalité ont disparu, ne laissant plus que le vide immaculé d'une piscine où l'on ose plus se mouiller?

  L'opinion actuelle est placée sous les étendards du progrès. Elle se croit chaque jour plus humaine que ses ancêtres, plus tolérante, plus juste, et cela parce qu'elle se voit plus technique, plus rapide et plus au courant des choses. "Elle est plus mieux quoi!". Et, en un sens, chacun des termes que je viens d'employer contient une part de vérité. En un sens seulement.
  Je ne vais pas venir débattre sur l'existence d'un progrès, c'est inutile, c'est un péplum pour sophistes, une réflexion pour touristes, une vénération des "iste". Non, soyons sérieux et observons ce que cela pousse parfois à faire, à dire ou à penser (veuillez noter l'ordre des mots, il n'est peut être pas le bon).
  Ce que, personnellement je constate, c'est une négation de la vie dans ce qu'elle peut avoir de sale ou de dérangeant, autant dire, de vrai. Dans nos sociétés occidentales, nous ne semblons plus connaître la réelle souffrance, celle des guerres de masse, des épidémies visibles, et des vieilles oppressions. Il me semble entendre Nietzsche parler des Derniers Hommes : "Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure; [...] la maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés". Alors, cette douleur nous la fantasmons, à travers des drames historiques divinisés, intouchables; nous la regardons chez les autres, dans un bon reportage ou un excellent film voyeuro-misérabiliste; nous la grossissons ou la fabriquons de toute pièce au point qu'aujourd'hui le droit à la victime passe pour être ce qu'il y a de mieux à produire, de plus égalitaire. Tremblant à chaque seconde de peur de réellement se prendre un coup, on pleure nationalement sur le corps de trois cadavres militaires, on surveille chaque dérapage sur fond de liberté d'expression, on humilie le passé, parfois même on le décontextualise, de toute façon l'avenir promet de ne plus faire d'erreur. L'époque est sûre d'elle, elle est fière. Elle condamne toute saleté car elle a su elle même s'en affranchir.
  Ainsi le monde de la pensée et ses technologies avance vers un design aux courbes épurées et blanches, ainsi l'homme oublie qu'il est homme; alors il lui devient impossible d'être entièrement conscient et effectif quant à ce qu'est son devenir véritable.


E.Esther



jeudi 27 janvier 2011

Exhortation du doute

  Penses tu réellement que le monde va vers sa perfection, vers un perpétuel progrès? Crois tu (allez, remue!) que ce que l'on crie comme être une république, ne pourrait pas se chuchoter autrement? Es tu capable de dire et d'expliquer clairement (jure le moi!) ce que tu penses?
  Je ne peux répondre pour toi, mon unique projet est de te remettre en cause.
Ita finitima sunt falsa veris, ut in praecipitem locum non debeat se sapiens committere.*, Cicéron, Premier Académiques, II, 21.
  Ami, le temps est au doute, prends garde!
  A chaque information qui t'es fournie, cherche qui peut bien en être l'auteur! L'époque se veut être celle de l'information perpétuelle, le lieu de la grande distribution de "c'est réel" chocs, des jus 100% bruit, des huiles de "live" à toute heure, des boites de convers' qu'on verse à toutes les sauces, tandis qu'au rayon viande le choix est laissé: du bluff, du mutin, et le cochon se tait. Donc tout pour faire notre beurre, mais avec l'accord de son agent.
  Sais-tu où manger vrai?

  Certes, la chaleur de ta famille, les bras de ton ami sont là pour te soutenir dans ce monde qui tangue. Mais pour le reste, ton chemin se fera seul. Tu te dois de douter, sans cesse. Lorsqu'un homme est conspué par une majorité, ne te dis pas simplement "cela est bon", "cela est mauvais", mais vas chercher l'information à sa base, écoute cet homme, lis cet homme, confronte toi au réel. Si demain, deux faits se contredisent, ne reste pas là, impuissant et contemplant, mais cours comprendre ce qui ne va pas, ne reste pas dans l'incompréhension. Et doute également de ce qui t'es présenté comme l'évidence; lorsque des événements sans lien apparent semblent se diriger dans un même sens, un même bien, interroge toi sur la nature de ce "bien", et à qui cela profite.

  Ce monde n'est pas bipolaire, coloré par un manichéisme primaire, et quand bien même il le serait, ce n'est certainement pas de la façon dont on veut bien te le faire croire. Les vrais débats ne sont plus là où tout le monde court, les vrais discours sont cachés. Par là, il faut entendre deux choses; que la réelle pensée de ceux qui communiquent ne se trouve pas dans leur mots, et que les informations qui viendront les contredire, les briser, ce n'est pas ton univers cathodique et publicitaire qui te les délivrera. De plus en plus, tu, nous, ils sont amenés à devenir ce que Michéa dans son Enseignement de l'ignorance appelle des "crétins militants". Je ne peux que t'encourager à te renseigner, à questionner, à lire et à manier cette lame à double tranchant qu'est internet.
  Je ne peux que te souhaiter une dernière chose, à la façon de Ciceron chez Voltaire :
"Grands dieux! Que ce héros soit toujours citoyen!"

E.Esther

*Le faux est si voisin du vrai que le sage ne doit pas se hasarder sur un terrain aussi escarpé.


mercredi 26 janvier 2011

Pucerons hédonistes et teckels passéistes

"Contente-toi du donné." Sur Démocrite, citation attribuée à celui-ci et rapportée par Friedrich Nietzsche.
  Loin de proclamer l'avènement d'une pensée caractérisée par sa passivité, cette sentence énigmatique pourrait bien être la condition de toute pensée ayant pour ambition un réel poids politique et culturel (mais en doutiez vous vraiment mes frères et soeurs?). Il senble que la modernité puisse se résumer à un long processus de déprise quant à toutes nos idoles, à une prise de conscience de l'ensemble de nos représentations dans ce qu'elles ont de plus arbitraire. Mais cela signifit-il que nous soyons réduits à un hédonisme crasse, dont nous voyons bien qu'il ne fait que s'étendre au-delà des frontières du monde occidental? 
  Que nenni! Car s'il y a bien une chose que le Grand-Homme-à-Moustache nous ait appris c'est qu'avec le monde vérité, c'est aussi celui des apparences qui a sombré dans l'abîme, aussi ne nous faut-il pas céder à l'appel de la Matière pas plus qu'à celui de l'Esprit mais bien rompre avec ce schème pathologique pour nous tourner vers le seul monde, celui qui nous est immédiatement donné, dans toute sa richesse et son irréductible diversité. C'est pourquoi, devant une réalité singulière et inconnue jusqu'alors (ne sommes nous pas les premiers à croire sincèrement que la félicité est à chercher dans la jouissance ici et maintenant?) , il nous faut à tout prix abandonner nos vieux grimoires, nos anciens schèmes de pensée, si nous voulons pouvoir faire face.

  "Les hommes naissent mous et souples,
  Morts, ils sont raides et durs.
  Les plantes naissent tendres et élastiques,
  Mortes, elles sont sèches et cassantes.
  Ainsi quiconque est raide et inflexible est un disciple de la mort.
  Quiconque est doux et flexible est un disciple de la vie.
  Le dur et le raide seront brisés.
  Le doux et le souple prévaudront."

Tao te king Lao Tseu

  Si la mort de Dieu est irréversible, il ne s'agit pas pour nous de mettre l'homme en lieu et place du principe divin. Toutes les grandes passions ayant animé le champs du politique ces deux derniers siècles, avec toutes les dérives que l'on connait (et dont on aime tant nous rappeler l'atrocité, nouveau mythe fondateur de nos sociétés prétendument kantienne) ne sont que les tentatives désespérée pour ranimer le corps divin déjà bien décomposé. Nous sommes les victimes de notre propre acharnement thérapeutique. Une vraie pensée du politique ne sera possible que par une remise en cause pleine et entière des cadres qui structurèrent jusqu'à présent ce champs de la réflexion. Nous, hommes tardifs, devons accoucher de l'Enfant (conceptuel celui-ci) qui pourra répondre au défi que nous nous lançons dans nos rapports les uns aux autres. La tentation réactionnaire nous est proscrite, celle de la conformité ne mène nulle part.
  
Quel autre choix avons nous que de créer par-delà nous même?

A.G.


Extrait de : L'eugénisme est un progressisme ou aphorisme sur le vit, de Jean-Claude Smart

  « Il y a longtemps, en région de France, sur une planète nommée Terre, des couples d'hommes adoptaient des enfants de l'autre bout du monde tandis que des milliers, des centaines de milliers, que dis-je, des millions de femmes se languissaient de leur solitude, feuilletant des magazines idéologiquement neutres tel Femina ou Voici - tout en refusant, après des heures de toilettage, que quelques hommes ne les abordassent ; les pétasses ! Vieilles filles après dix avortements, car oui mon corps m'appartient, elles mangeaient du soja bio avec une larme d'eau déminéralisée en compagnie de leurs seuls amis, les chiens, quand Daniela, le transgenre de chez Smiss d'en face ne leur servait pas de co-pine.


  Quelle ne fut pas la surprise de Tictac (eh oui, on peut aussi donner des noms de marques à ses enfants !) à la découverte des vieilles archives télévisuelles des années 2010. Il avait récemment étudié le nazisme en cours de mémoire-géographie, qui n'était (enfin!) en l'an de grâce 3500 qu'un "détail" de l'histoire de l'humanité, parmi les déportations, les crimes et les chambres à air. Et bizarrement, après la propagande du "Plus jamais ça" qui fit des ravages chez les partisants de l'enracinement, il lui semblait que l'esprit n'était pas bien plus différent au début du 21 ème siècle qu'au milieu du 20ème (siècle; parce que le 20ème arrondissement était le quartier du Marie Trintignant – de Léon Blum aussi, mais ça c'est pour les intellos).

  Cette remarque qui lui valu l'ostracisme – à comprendre : rejet total de l'Humanité, parce que le mal absolu était la chasse-gardée d'Hitler de 39 à 45 et pas pour les autres à venir, le sale juif ! – surgissait dans son coeur made in China comme une explosion de haine projetée sur le pantin fasciste ; de même qu'en 2005 projetaient leur semence blanchâtre les artistes mous sur des toiles vendues à 4 millions aux bobos du Marais (poitevin ?). Pourtant il ne pouvait s'empêcher de penser (crime absolu) que d'un totalitarisme guerrier, cette fin de règne des Lumières franc-maçonnes s'était muté en un totalitarisme vidé de ses couilles viriles, pour finir en spectacle généralisé, faussement transgressif, morbide, qui obligeait les gens à être libre de regarder la télévision.

  Tictac savait compter les grains de riz et prier Mickael Jackson, mais chose étonnante, la sous-nutrition de sa famille face à la bonhomie du clebs des Rockfeller lui avait permis de développer un appendice cérébrale, la conscience. Performance qui ne pouvait apparaître qu'au dessus d'un QI de 150 ; autant dire que les grands de ce monde n'avait pas aidé l'humain moyen à faire évoluer la chose.

  Il fallait que les hommes fussent libres ; on leur donna le droit de manger, d'acheter, de dormir pour manger, acheter et dormir... Cris de stupeur en ces temps soumis aux dogmes du plaisirs immédiat. Mais que nenni, les petits prêcheurs du désert étaient fous, et Pujadas était beau ; normal il était dans le bocal et Closer s'en félicitait.

  Avec un recul de 1500 ans, Tictac comprenait la mascarade, on l'avait trompé ; ces extraits d'archives étaient faux, ils servaient à lui montrer le chemin du vice. Les vidéos n'étaient que des montages concoctés par les résistants. Meurtre, meutre, ces mots pendaient à ses lèvres. Il fallait trouver les coupables, donner ces information à la Gestapo (Géant énervé sur ta poire), pour qu'à jamais finissent l'âge obscur du non-officiel. Il n'avait pas de suite fait le rapprochement avec les théories du complot ; mais tout était rentré dans l'ordre. L'Ordre nouveau qui avait su le préserver du grand chaos, de cette folie des hommes inspirés par le désir de Vérité.

  La plainte déposée pour abus de conscience, les idées claires, il pouvait lire sur les panneaux publicitaires éclairés aux néons pâles, un sourire satisfait pour seul stigmate:

  "Tu es mort, c'est ta vie." »

B.L.



mardi 25 janvier 2011

Mais où sont les neiges d'antan ?

Si tibi non opus est servata, stulte, puella,
At mihi fac serves, quo magis ipse velim !
Quod licet, ingratum est ; quod non licet acrius urit.*
- Ovide, Les amours, Livre II, Élégie XIX

    Les femmes sont le sel de la terre. Elles apportent les nuances nécessaires à la beauté de l'être humain ; elles lui donnent des courbes agréables, des rondeurs luxueuses, des parfums désirables. La femme embaume ; toute sa force est dans la subtilité de son charme qui pousse à l'action ;  elle est fondamentalement une puissance motrice : la beauté est un dynamisme. Sa grâce est aérienne ; sa respiration est un souffle de fécondité ; et, forte de sa superficialité de la profondeur, de son noble art de l'apparence et du mensonge, elle se plaît à diriger subrepticement les actions des hommes.  Il est imprudent de sous-estimer le pouvoir de la délicatesse féminine, ce pouvoir de félin qui lui permet d'exercer une force indirecte et complexe dans les plus grandes comme dans les plus anodines affaires humaines : la femme sait et aime faire désirer.
    La féminité est tout dans l'ombre, elle n'est rien dans la lumière : son empire est volontairement voilé ; ses armes sont des parures matérielles et spirituelles. Maîtresses de l'illusion, les femmes, derrière leurs masques de comédiennes, peuvent ficeler les plus malicieuses intrigues, lesquelles suscitent et la joyeuse curiosité et la dangereuse témérité de l'homme. La source de toute cette puissance n'est pas autre chose que le mesquin interdit qu'elles posent et reposent sans cesse ; et à ce titre, l'une de leur principale vertu est celle de la résistance, que toute habile femme sait graduer à sa guise. L'amour sans rituel est un assouvissement animal. Les hommes ont besoin de cette obscure violence féminine, de ces attraits qui aiguisent la volonté. L'amoureux veut attraper le vent ; il suit la brise charmante ; son bonheur est dans le franchissement progressif des obstacles. Mettez un amant devant l'accomplissement facile, devant l'amour sans effort, il sera comme un athlète n'ayant pas d'adversaire à sa hauteur : il s'ennuie et se vautre dans la velléité ; sa puissance est retombée ; la permission a tué la passion. Toujours l'homme doit dépasser.
    Aussi, la complainte que pousse le poète est légitime : mais où sont les neiges d'antan ? Voici le cri de l'homme sans cibles, à l'appétit affaibli, qui ne sait où éprouver sa puissance comme le tireur à l'arc ne sachant en quel cercle tirer sa flèche. N'en doutons pas : l'attitude des femmes, comme la religion ou les arts, montre l'esprit d'un État et de son peuple : tout est toujours lié. De sorte que nous pouvons être inquiets de notre nation non seulement en voyant l'actuelle idolâtrie des avatars de la consommation, en regardant la foule se prosterner devant les plus répugnantes des œuvres, mais également en considérant la horde de messalines grossières qui arpentent les rues. La chair est belle, mais le jeu est triste ; tout est montré, rien n'est suggéré ; et le désir se meurt de l'excessive quantité de corps offerts aux regards. Gageons que si Don Juan, par un châtiment des Enfers, se retrouvait à notre époque, il succomberait rapidement d'ennui devant l'absence de défis et de jeux dignes de lui. Ô Femmes, montrez-vous capables de plaire à Don Juan : suggérez et interdisez !
Florent Basch

*Insensé, si ce n'est pas pour toi que tu surveilles ta femme, surveille-la du moins pour moi, afin de me la faire désirer davantage. Ce qui est permis n'a pour nous aucun prix ; ce qui ne l'est pas ne fait qu'irriter notre passion.




mardi 4 janvier 2011

Les apolitiques

"Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqués" Pascal, Pensée du pari


  Ne vous laissez pas confondre par les présomptueux qui se prétendent apolitiques. Dans leur orgueil et leur confort illusoire, ils n'aperçoivent pas la nature du Politique, qui enveloppe l'animal social de tous les côtés, le colore nécessairement, le plie à sa guise : le Léviathan est un grand déterminateur. Les négateurs du Politique méconnaissent la constitution présente de leur être, ne voient pas leur propre genèse, et négligent leur avenir. C'est être enfermé dans l'ignorance que de refuser d'admettre les déterminations qui nous façonnent comme c'est être prétentieux que de croire à un libre-arbitre tout-puissant capable de supprimer ces déterminations. Il faut combattre cette illusion favorisant la passivité et donc la servitude de l'individu ; les apolitiques pensent affirmer leur liberté en ignorant fièrement l'État, alors que ce faisant, ils s'agenouillent les yeux bandés devant lui : ils sont comme les mouches voulant fuir une chambre et qui finissent par s'écraser grotesquement sur la vitre. L'homme libre est l'inverse des apolitiques : il connaît les rapports entre la Cité et ses citoyens ; il comprend et pose la nécessité des déterminations ; sa force libre, c'est sa raison qui va jusqu'aux racines de tout ce qui l'entoure.
    De fait, le refus de l'engagement est déjà un engagement, fort et lourd de conséquences : c'est baisser son épée de citoyen, et s'abriter derrière un bouclier fragile. Que ceux qui pensent pouvoir échapper au Politique le sachent : il est possible, pour les plus habiles, de dompter le Léviathan, mais jamais d'anéantir son océan ; et si la Bête se réjouit de voir les citoyens sourds à ses pas, c'est parce qu'elle pourra plus aisément cracher son feu déterminateur. Sa flamme peut être belle et agréable, chauffer les cœurs attiédis, éclairer de nouveaux chemins, mais elle peut également aveugler les hommes et consumer ses terres. Le Politique est la sphère naturelle de l'homme ; c'est son cadre nécessaire, le lieu où se joue le combat de son épanouissement ; le rejeter, c'est dédaigner son salut et livrer sa béatitude aux aléas d'un dangereux champ de bataille.
  La compréhension du Politique, en tant qu'elle permet la connaissance de soi, de l'autre, et d'une large part du monde, est une joie ; elle donne une lumière qui guide l'individu dans son aventure quotidienne. Les soi-disant apolitiques qui refusent lâchement de comprendre ce qui les entoure sont dans un perpétuel état de stupéfaction devant les évènements qui ne peuvent pas être esquivés : ils sombrent dans l'abattement, l'indignation et le ressentiment comme les misanthropes qui sont sans cesse déçus par les hommes du fait de leur incompréhension de la nature humaine. Le Politique est à l'image de la vie, c'est un mouvement ; les vrais guerriers avancent le sourire aux lèvres, parce qu'ils ont sondé le fleuve qui les mène ; et ils savent que la sagesse est un joyeux combat toujours recommencé.


Florent Basch