Site philosophique et politique pour une pensée forte.

dimanche 20 février 2011

De l'idéologie au réel, pour une poétique du réel.

  Telle une aspirine qui endort la douleur et la fait taire dans un sommeil inextinguible, l’idéologie, discours d’un au-delà, opprime la réalité en lui substituant un autre monde. C’est alors que ce monde des idées est objet d’extase, et teinte la réalité de couleurs érotiques aux effets pervers. On rend cocu le réel en lui préférant sa sœur prostituée qui vend ses charmes pour un rien, pourvu qu’on ne la dévoile pas. L’idéologie communiste a fait l’objet d’un véritable viol en se maintenant concrètement à la tête de l’Union soviétique. 
  La force de l’idéologie est son maintient dans le possible, dans un réel toujours à venir, possible qui selon Bergson n’est que du réel projeté. Le drame du communisme se produit dans sa tentative de réalisation, d’inscription dans le réel. Or elle perdit là toute sa force, toute son ambition, son extravagance. Elle qui était prisme d’une réalité amer se retrouve aux fers contre le réel, luttant contre ce qui ne se défait jamais, contre ce qui jamais ne se tait. Le réel ennui, parle trop, ressasse toujours les mêmes histoires, les mêmes déceptions.
  L’homme a besoin de rêvasser, de s’inventer des mythes, de s’évader, de fuir la rudesse de celle qui n’a désormais plus de nom. On confectionne quelques programmes pour séduire les foules, les aider à imaginer, à entretenir du possible. Cela forme une musique assez sympathique, nous faisant danser au gré des saisons. On s’ennuie dans ce monde, il faut se distraire. Mais certaines s’illusionnent d’agir physiquement sur du concret. Ils crachent des idées, leur salive se mêle de mensonges, de comédie qui aspire au statut de réel, à une réalité du possible. L’abstraction détournée atteint des taux d’activité assez convaincant, c’est l’orientation des concepts qui est douteuse. Démocratie, libéralisme, conservatisme, alter-mondialisme, écologisme, socialismes, nationalismes : le double est légion. Mais le réel c’est l’infini des possibles ou plutôt l’impossible au sens où l’entend Derrida : c’est ce qui arrive. 
  Comment prévoir ce qui arrivera ? C’est torture inutile. Pourquoi prétendre agir sur le réel en le pansant de substances hallucinogènes ? Comment raisonner dans l’errance ? Il ne faut pas parler de progrès car c’est ce qui aliène le ici-maintenant à un toujours ailleurs. Le progrès est une fin qui se nourrit des déceptions du présent ; on nous dit l’humanité est en progrès comme si elle avait une destinée particulière. La nôtre c’est de rire de ce qui nous arrive, de rire de tout et de rien, de danser avec le réel. 


  On ne guérit jamais vraiment de nos maladies et souvent le rôle de la médecine est de nous apprendre à vivre avec nos maux. Grégoire Samsa (La Métamorphose, Kafka) doit s’y reprendre à plusieurs fois, se projeter vers sa position préférée, rien n’y fait, la réalité revient à coup de marteaux. Il est devenu un monstrueux insecte, une étrange créature mais ce devenir est son être-là. Vivre dans le réel c’est vivre avec cette part d’étrangeté en nous et dans l’autre ; si on a l’impétuosité de vouloir éradiquer cette étrangeté, on dévitalise la vie, on la rend insipide, indolore. C’est comme la violence d’une liqueur à la gorge, la rendre sourde, c’est l’oublier. Or il faut affronter cette violence non pour la voir s’évanouir mais pour simplement le plaisir de combattre avec et contre elle. 
  Tout le plaisir de la vie est dans cette danse inconfortable où l’on cherche à ramener l’équilibre ; on se trompe à vouloir rétablir l’ordre alors que c’est seulement dans la recherche de l’équilibre et non dans l’équilibre même qu’on éprouve la joie du réel. C’est, selon moi, le propre d’une poésie du réel.

D.B.


mercredi 16 février 2011

Lève-toi et marche !

La vie est un travail qu'il faut faire debout.
- Alain

    Il faut aimer l'homme regardant l'horizon et se méfier des éternels accroupis. Dressé, cet étrange animal porte noblement ses fardeaux, concentre son énergie, contemple le devenir ; assis, ses peines écrasent ses épaules, il se morfond dans la velléité, demeure fixé sur son marasme. Davantage qu'une métaphore facile mais belle, c'est une vérité physiologique : l'homme debout exerce une tension ferme sur ses membres, ses lignes gracieusement se consolident ; son regard dépasse le sol et s'élève au-delà des importunes hautes herbes : ses yeux semblent défier les dangers de la nature. La bipédie est une position d'affirmation qui pousse à regarder et aller en avant ; c'est la position qui fait marcher, qui enclenche ce processus singulier qui, en se développant, fit sortir l'homme du règne purement animal pour créer les civilisations uniques que l'on sait. On suppose que l'homme s'est mis debout, entre autres raisons, pour affronter au mieux les périls de la savane ; il doit le rester pour franchir les obstacles qu'il a et aura toujours besoin d'inventer.
    Il ne manque pas d'âmes paraplégiques en ce monde pour inciter les hommes à ramper sans honte et à imiter le nonchalant mode de vie de larves en tout genre ; on veut nous faire croire que le bonheur consiste à demeurer confortablement assis, éloigné à jamais de la vie pleine d'efforts et d'oppositions qui fut celle des hommes du passé. Pernicieuse idée d'hommes fainéants et tristes ! Il faut s'insurger contre ces utopies d'insectes et ces pâles idéaux ennuyeux, qui font de l'inaction une vertu, de l'inertie une condition indispensable au bonheur, du combat une tare à éradiquer ; de telles sottises ne devraient pas être semées dans les champs des hommes ; et les âmes refusant de s'agenouiller ou de se coucher, qui existeront tant que l'homme sera l'homme, devraient déployer leur goût naturel pour le travail libre afin de mettre sur pied tous les bipèdes corrompus. Il n'est pas vrai que l'homme aime la facilité et le repos ; il ne demande qu'à effectuer en divers domaines sa puissance ; il l'eût fait de lui-même, s'il eût su naturellement exciter, diriger et contrôler son désir.
  La grande force de l'homme, c'est sa capacité à se discipliner selon des règles collectives ou individuelles, et à fonder son épanouissement dans ces contraintes précieuses qui le poussent à se lever et à marcher droit vers la difficulté ; il peut vaciller quelquefois, être bousculé par mille objets divers souvent, mais il est toujours content de trouver des difficultés qui forment les bases nécessaires de son excellence. Seuls les faibles préfèrent s'allonger et couper les jambes de tous : le ressentiment prend toujours un malsain plaisir à se propager comme le montre ces austères moralisateurs qui condamnent des actions qu'eux-mêmes regrettent de ne pouvoir réaliser. Dès que l'homme se lève allègrement, se met consciemment en mouvement, et avance vers un chemin quelconque qui augmente sa puissance, il est beau, joyeux, et presque sage. La marche est l'expression corporelle de l'amor fati ; et Nietzsche, comme tous les gais penseurs, était un grand péripatéticien. Si je suis humaniste, ce n'est certes pas pour adorer un animal bureaucrate ou pour me prosterner devant de nouveaux sièges respirant le bien-être insipide et autres progrès de l'industrie du confort  ; et s'il eût été en mon pouvoir de réveiller mes frères humains endormis, j'eusse crié, avec toute la ferveur qu'il m'est possible de partager, sans promettre autre chose que le bonheur d'une lutte libre et épanouissante : « Lève-toi et marche, chaque jour ! ».

Florent Basch

De la servitude sensible (ou De la mort véritable)

"Les éponges et les sots ont ceci de commun qu'ils adhèrent." Socrate dans Eupalinos, Paul Valéry
  Je rappelais au lecteur, dans mon article précédent, l'importance qu'il doit accorder aux sources des informations qu'il recueille. Et cela car il n'est pas la peine de chercher plus loin que la caverne de Platon pour comprendre qu'il y a derrière tout media un principe d'illusion. Je ne promets certes pas, le monde des Idées, mais juste un peu de bon sens.
  Ces images, prises seules et considérées comme vérité absolue, ne produisent en l'individu qu'une vision simple (pour ne pas dire simpliste). L'objet (l'information) n'étant alors observée que de notre unique point de vue, sans que tous ses possibles soient considérés, ne fait que déclencher en nous ce que Hegel appellerait l'acte d'opiner. Bienvenue, mes amis, dans la servitude de l'opinion.

  Qu'est ce qu'une opinion, sinon un pensée plate, frottée au point que tous les reliefs de la réalité ont disparu, ne laissant plus que le vide immaculé d'une piscine où l'on ose plus se mouiller?

  L'opinion actuelle est placée sous les étendards du progrès. Elle se croit chaque jour plus humaine que ses ancêtres, plus tolérante, plus juste, et cela parce qu'elle se voit plus technique, plus rapide et plus au courant des choses. "Elle est plus mieux quoi!". Et, en un sens, chacun des termes que je viens d'employer contient une part de vérité. En un sens seulement.
  Je ne vais pas venir débattre sur l'existence d'un progrès, c'est inutile, c'est un péplum pour sophistes, une réflexion pour touristes, une vénération des "iste". Non, soyons sérieux et observons ce que cela pousse parfois à faire, à dire ou à penser (veuillez noter l'ordre des mots, il n'est peut être pas le bon).
  Ce que, personnellement je constate, c'est une négation de la vie dans ce qu'elle peut avoir de sale ou de dérangeant, autant dire, de vrai. Dans nos sociétés occidentales, nous ne semblons plus connaître la réelle souffrance, celle des guerres de masse, des épidémies visibles, et des vieilles oppressions. Il me semble entendre Nietzsche parler des Derniers Hommes : "Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure; [...] la maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés". Alors, cette douleur nous la fantasmons, à travers des drames historiques divinisés, intouchables; nous la regardons chez les autres, dans un bon reportage ou un excellent film voyeuro-misérabiliste; nous la grossissons ou la fabriquons de toute pièce au point qu'aujourd'hui le droit à la victime passe pour être ce qu'il y a de mieux à produire, de plus égalitaire. Tremblant à chaque seconde de peur de réellement se prendre un coup, on pleure nationalement sur le corps de trois cadavres militaires, on surveille chaque dérapage sur fond de liberté d'expression, on humilie le passé, parfois même on le décontextualise, de toute façon l'avenir promet de ne plus faire d'erreur. L'époque est sûre d'elle, elle est fière. Elle condamne toute saleté car elle a su elle même s'en affranchir.
  Ainsi le monde de la pensée et ses technologies avance vers un design aux courbes épurées et blanches, ainsi l'homme oublie qu'il est homme; alors il lui devient impossible d'être entièrement conscient et effectif quant à ce qu'est son devenir véritable.


E.Esther