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mercredi 1 juin 2011

Papillon du Parnasse



Papillon du Parnasse et semblable aux abeilles
À qui le bon Platon compare nos merveilles,    
Je suis chose légère et vole à tout sujet,           
Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet.       

L'abeille et le papillon - La Fontaine


   Voilà une description à la légèreté contagieuse ; on aimerait tous être comme La Fontaine, dans cette errance fleurie qui ressemble à la liberté. On y sent la légitime variété des désirs humains, qui le fait aller en des chemins qu'il ne connaît pas toujours, en des forêts pleines de surprises, cueillant joyeusement la singularité de chaque nouvel objet rencontré. J'aime vraiment ce mot de singularité ; il exprime ce qu'il y a d'irréductiblement beau dans chaque parcelle de Dieu ; et toujours ce mot me procure une ferveur et pour l'existence dans sa totalité, et pour les choses singulières qui me viennent à l'esprit. Malheureux celui qui reste toujours bloqué sur une seule fleur, puisant rapidement toute sa beauté, se lassant, se dégoûtant, prenant en aversion ce qu'il adorait autrefois ; au contraire, les papillons du Parnasse, fiers de leur frivolité, cherchent la beauté partout où elle se trouve, et préfèrent les fleurs riches en puissances variées, dont on sait qu'elles peuvent étonner, qu'elles peuvent prendre des formes insoupçonnées... Regardons la vie ; nous y voyons une multitude de processus, de puissances s'effectuant : cette diversité devrait nous réjouir. L'ennui, ce fléau de l'animal conscient, se développe lorsque l'homme reste figé sur un processus : il se fige à son tour, pose des questions stupides au processus et à l'ensemble de la réalité ; cherchant une finalité, il trouve vanité ; et ce faisant, souvent sans en être conscient, il invente son malheur. 


   La légèreté ne doit pas être qu'une vaine métaphore ; elle doit devenir acte. Qu'entendons par légèreté ? C'est ce que décrit La Fontaine. Non seulement dans ces quelques vers, mais dans toute son œuvre. C'est la célébration continue des petites beautés éparpillées dans l'univers, que nous ne pouvons tous aimer, car nous avons une complexion propre et que le goût nous force à refuser, mais qui sont toujours assez nombreuses pour égayer notre existence jusqu'à sa fin. Ces objets singuliers, toujours nouveaux, que sont-ils ? Tout : ce sont des enfants, des hommes ou des femmes ; ce sont des plantes ; ce sont des jardins ; ce sont des outils, des instruments, des technologies ; ce sont des jeux ; ce sont des peintures, des livres, des mélodies ; ce sont des sensations, des sentiments ; ce sont des nourritures. L'exhaustivité est impossible dans l'hymne des choses singulières à découvrir. Pour apprécier tous ces nouveaux objets, il faut s'engouffrer dans ceux-ci, fouiller leur particularité, trouver le cœur de leur processus, s'avancer, en somme, jusqu'à la compréhension en quelque sorte amoureuse de leur essence. Ceci peut paraître abstrait ; mais lorsque nous y regardons de près, lorsque nous observons ce qui fait notre joie, nous trouvons toujours une activité découverte, une personne approfondie, un fruit goûté et apprécié.


   Eh quoi ? N'apprécies-tu pas cette vie féconde, qui propose tant de singularités à effleurer, tant de fleurs à sentir ? C'est que tu n'as pas encore appris la légèreté. Regarde La Fontaine ; il vole ; il n'est pas effrayé par les nouveaux objets ; il est sans cesse intrigué ; et ses errances, chez ce génie créateur, sont la source de délicates inventions, Fables et Contes, que nous pouvons à notre tour apprécier. Soyons conscients de la réalité productrice et regardons les nuances toujours nouvelles qu'elle invente ; c'est en quoi la nature est proprement divine. Répétons-nous les vers de La Fontaine, et essayons nous aussi de devenir, que ce soit par l'imagination, dont je n'ai pas pu peindre ici les vertus, ou par la participation directe aux choses matérielles, de légers papillons du Parnasse. Le désir est l'essence de l'homme ; le désir fait allégrement s'envoler ; des fleurs aiguiseront toujours notre volonté.

Florent Basch