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mardi 4 janvier 2011

Les apolitiques

"Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqués" Pascal, Pensée du pari


  Ne vous laissez pas confondre par les présomptueux qui se prétendent apolitiques. Dans leur orgueil et leur confort illusoire, ils n'aperçoivent pas la nature du Politique, qui enveloppe l'animal social de tous les côtés, le colore nécessairement, le plie à sa guise : le Léviathan est un grand déterminateur. Les négateurs du Politique méconnaissent la constitution présente de leur être, ne voient pas leur propre genèse, et négligent leur avenir. C'est être enfermé dans l'ignorance que de refuser d'admettre les déterminations qui nous façonnent comme c'est être prétentieux que de croire à un libre-arbitre tout-puissant capable de supprimer ces déterminations. Il faut combattre cette illusion favorisant la passivité et donc la servitude de l'individu ; les apolitiques pensent affirmer leur liberté en ignorant fièrement l'État, alors que ce faisant, ils s'agenouillent les yeux bandés devant lui : ils sont comme les mouches voulant fuir une chambre et qui finissent par s'écraser grotesquement sur la vitre. L'homme libre est l'inverse des apolitiques : il connaît les rapports entre la Cité et ses citoyens ; il comprend et pose la nécessité des déterminations ; sa force libre, c'est sa raison qui va jusqu'aux racines de tout ce qui l'entoure.
    De fait, le refus de l'engagement est déjà un engagement, fort et lourd de conséquences : c'est baisser son épée de citoyen, et s'abriter derrière un bouclier fragile. Que ceux qui pensent pouvoir échapper au Politique le sachent : il est possible, pour les plus habiles, de dompter le Léviathan, mais jamais d'anéantir son océan ; et si la Bête se réjouit de voir les citoyens sourds à ses pas, c'est parce qu'elle pourra plus aisément cracher son feu déterminateur. Sa flamme peut être belle et agréable, chauffer les cœurs attiédis, éclairer de nouveaux chemins, mais elle peut également aveugler les hommes et consumer ses terres. Le Politique est la sphère naturelle de l'homme ; c'est son cadre nécessaire, le lieu où se joue le combat de son épanouissement ; le rejeter, c'est dédaigner son salut et livrer sa béatitude aux aléas d'un dangereux champ de bataille.
  La compréhension du Politique, en tant qu'elle permet la connaissance de soi, de l'autre, et d'une large part du monde, est une joie ; elle donne une lumière qui guide l'individu dans son aventure quotidienne. Les soi-disant apolitiques qui refusent lâchement de comprendre ce qui les entoure sont dans un perpétuel état de stupéfaction devant les évènements qui ne peuvent pas être esquivés : ils sombrent dans l'abattement, l'indignation et le ressentiment comme les misanthropes qui sont sans cesse déçus par les hommes du fait de leur incompréhension de la nature humaine. Le Politique est à l'image de la vie, c'est un mouvement ; les vrais guerriers avancent le sourire aux lèvres, parce qu'ils ont sondé le fleuve qui les mène ; et ils savent que la sagesse est un joyeux combat toujours recommencé.


Florent Basch


2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article enthousiaste qui transpire la joie de l'activité politique que vous décrivez. J'apprécie votre réflexion autour de la citation initiale et je partage votre vision de l'indifférence politique systématique comme confort illusoire et incompréhension de ce qui détermine sa propre vie. Toutefois, peut-être l'article tend-il dans certains passages à trop faire oublier la différence entre l'indifférence véritable et le refus de l'engagement, qui, comme vous le rappelez, est un engagement fort (mais sans doute pas dans le sens où vous l'entendez) et peut être, me semble-t-il, pris en connaissance de cause. Il ne s'agit peut-être pas nécessairement de jeter son épée de citoyen, mais de refuser de la confier à un groupe dont on se méfie. L' homme ne peut échapper à l'action du domaine politique, mais ce n'est à mon avis ni toujours un crime ni toujours une erreur de ne pas s'y engager pleinement. Ce peut aussi être le résultat d'une réflexion sur l'espace politique et les moyens de le faire évoluer d'en refuser certaines règles. L'apolitique de sens fort n'est pas indifférent et ignorant, mais il exprime une forme de résistance contre le choix politique en présence. Je ne crois pas vraiment vous contredire et m'excuse pour les boîtements de ma pensée, mais je laisse ce commentaire à tout hasard.

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  2. Je vous remercie à mon tour pour votre commentaire constructif ; j'entends votre propos et y adhère tout à fait. En effet, par engagement, terme flou qui mérite d'être précisé, je n'entendais pas le militantisme, que je méprise, ni l'adhésion, forcément étroite, à un groupe ou à une doctrine, mais l'activité par laquelle l'individu se positionne avec conscience dans l'espace politique. La compréhension du politique, fort rare en nos temps, est un engagement, le plus noble et le plus pur qui soit ; et l'homme qui comprend la sphère politique n'est déjà plus apolitique, c'est-à-dire qu'il ne se considère pas comme un libre-arbitre tout-puissant capable de s'élever fièrement au-delà de sa société et de son époque.
    L'épée du citoyen, c'est la capacité à connaître et à poser les déterminations politiques : c'est l'arme du spinoziste qui fonde sa liberté au coeur de la nécessité. Le refus de s'engager dans un groupe politique précis, de s'enfermer dans un carcan doctrinal froid et limité, lorsque ce refus provient d'une véritable compréhension du politique, n'est donc, comme vous le dites, ni un crime, ni une erreur, mais bien plutôt un signe de prudence et de sagacité. Ce que je constate, c'est que la majorité de nos concitoyens, bien qu'ils ne soient que peu à adhérer explicitement à un courant d'idée précis, sont incroyablement ignorants des déterminations politiques qui les façonnent et qui rendent leur pensée banale et monotone, alors qu'ils se croient sincèrement libres et autonomes !
    Après cette précision nécessaire, je crois que nos propos, du moins sur ce sujet, ne peuvent que converger.

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